Introduction

DIE, la petite mort de l’université

DIE, la petite mort de l’université

DIE, la petite mort de l’université

Christophe Ancey (mai 2024)

Depuis qu’elle existe, l’université a été confrontée à des menaces diverses. Les plus déroutantes (et probablement parmi les plus dangereuses) sont les menaces qui émanent de l’université elle-même car cela veut dire qu’elle renie sa raison d’être1.

1 Tout est politique !

On assiste depuis une vingtaine d’années à une américanisation à marche forcée et à une dérive idéologique considérable des universités suisses. Il est amusant de noter qu’en mai 2024, plusieurs directions d’université réagissaient aux manifestations pro-Hamas sur les campus en rappelant que le devoir fondamental d’une université est la neutralité2. Je les rejoins entièrement sur ce point, mais plusieurs personnes ont noté le double discours des universités sur ce qui est politiquement neutre ou non. Les présidents d’université ont tout simplement oublié le vieux slogan de 1968 : tout est politique.

Il n’est pas besoin de pointer les différences de traitement de l’actualité au sein des universités pour étayer le caractère éminemment politique de certaines orientations prises par ces mêmes universités, très loin de la stricte neutralité qu’elles sont censées observer. Durant la dernière décennie, on a ainsi vu l’imposition de l’écriture qui se dit inclusive, et un discours institutionnel reprenant tous les éléments de langage du sécuritarisme3 et du courant DIE (diversité inclusion égalité), mouvement classé comme « libéral » aux Etats-Unis. On est bien dans le politique.

2 Reformater l’université

L’américanisation du modèle universitaire suisse (et européen) est une chose étrange. Certes, compte tenu de la prospérité économique des États-Unis et du prestige de ses universités, il est tentant de vouloir appliquer ici des recettes qui semblent avoir fait leurs preuves là-bas. Mais c’est faire montre de peu d’imagination et surtout d’une forme de naïveté en croyant qu’il suffit d’importer un modèle pour générer le succès. Pour preuve, il n’y a toujours qu’une seule Silicon Valley même si tout le monde s’est mis à vouloir la copier.

Il en est ainsi de l’EPFL. En 2000 le CEPF nomme un candidat sorti de son chapeau à la présidence de l’EPFL. Le journaliste scientifique Fabrice Delaye a salué ce « coup d’Etat » (sic) institutionnel qui a permis de restructurer l’EPFL à l’image des grandes universitaires états-uniennes [2]. Un tel changement aurait en effet pu être salutaire si la Suisse accusait un retard en matière de recherche et d’enseignement supérieur. Toutefois, comme le faisait remarquer Libero Zuppiroli [3], les performances de la recherche suisse la plaçaient dans le haut du classement quel que soit le critère considéré. Le changement imposé ne correspondait donc pas à la réponse que nécessiterait un état de carence du système académique suisse, mais à la volonté d’un petit cénacle de changer le système pour l’aligner sur le système américain (mondialisation oblige). Pour quels bénéfices attendus ? Mystère.

Ce changement s’est notamment traduit par la création de facultés, la mise en place de doyens, la mise au pas des professeurs, la bureaucratisation (là encore un phénomène né dans les grandes facultés américaines [4]), etc. Dans le même temps, le FNS imposa la discrimination positive dans l’encouragement des projets pour favoriser les chercheuses ; il ne claironna toutefois pas la chose tant le système académique se prétendait alors encore méritocratique.

En 2017, le CEPF nomme Martin Vetterli, un homme du sérail qui a fait son début de carrière aux EUA, à la présidence de l’EPFL. Ce dernier décide d’imposer le mouvement DIE né aux Etats-Unis quelques années plus tôt.

3 Le mouvement DIE

Le mouvement DIE est un courant de pensée né dans les plus grandes universitaires américaines au début des années 2010 et qu’on peut considérer être un prolongement des mesures de discrimination positive (affirmative action) mises en place dans les universités américaines pour corriger les inégalités structurelles entre communautés au début des années 1970. Le mouvement DIE tire aussi son origine dans une attitude philosophique plus ancienne qui prônait l’ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre (openness). Face à une population hétérogène (en matière de langue, religion, et mœurs), les autorités états-uniennes ont choisi de prêcher pour une tolérance maximale des différences. Il faut noter que d’autres États ont été confrontés à des situations similaires, et ont apporté d’autres réponses : la Suisse, pays pluriethnique et multiconfessionnel, en est un exemple. Notre grand voisin la France a choisi l’uniformisation forcée (interdiction des dialectes, laïcité, jacobinisme, etc.).

Aux Etats-Unis, le mouvement DIE est classé comme « libéral », donc en principe à gauche sur l’échiquier politique, et il est donc vivement critiqué par les conservateurs et les réactionnaires de droite. En analysant l’évolution de la société américaine contemporaine, on peut s’accorder avec le journaliste Thomas Frank et considérer que les « libéraux » américains ne sont plus vraiment à gauche [5], mais défendent la globalisation, un élitisme culturel, un dédain des masses populaires, le progressisme et la justice sociale, et ils sont donc très proches des néolibéraux au sens français du terme.

Le mouvement DIE s’est nourri d’autres éléments de la culture américaine : le discours puritain des sectes anglicanes (le péché originel de l’homme, la culpabilité, la repentance), l’égalitarisme (un fait déjà décrit par Tocqueville à une époque où l’Europe était encore très fortement marquée par les inégalités de classe), la justice sociale (théorisée par John Rawls), la lutte pour les droits civils, et l’émancipation par rapport à des structures jugées oppressives.

Quoi qu’on pense de la cause des inégalités économiques, culturelles et sociales entre individus ou entre communautés, ce mouvement est une réponse au clivage multiculturel au sein de la société américaine, qui a du mal à assurer une cohésion sociale, ce qui menace sa survie sur le long terme. Le groupe ethnique au pouvoir depuis la Guerre d’Indépendance – les protestants anglo-saxons blancs (WASP) – souffre à la fois d’un déclin démographique et de l’effacement progressif du protestantisme, et il ne peut donc que prendre en compte la nouvelle donne démographique du pays.

Les partisans de DIE notent que les mesures de discrimination positive n’ont produit que peu d’effets alors qu’elles ont été mises en place il y a plus de 50 ans (à partir des lois civiques des années 1960). Ils considèrent qu’il faut renforcer ces mesures, et c’est là où le crédo DIE intervient.

Le problème est de savoir en quoi la solution apportée par le courant DIE à la crise de la société américaine serait pertinente pour la Suisse (ou l’Europe). On note que là encore en Europe, il existe plusieurs modèles sociaux pilotés par les Etats (le système de l’Etat-providence) qui en matière de lutte contre les inégalités sociales font bien mieux que les Etats-Unis4. Bref, l’importation du courant DIE en Europe interroge.

4 Le pilier principal de DIE : non l’égalité des droits, mais des places

Le point saillant du mouvement DIE est l’égalitarisme. La déclaration des droits de l’homme de 1789 parle d’égalité de tous les hommes face à la loi. Mais comme Jean-Jacques Rousseau le notait dans « le contrat social », il ne peut y avoir égalité devant la loi sans égalité économique [6]. On a donc imaginé des mécanismes de réduction des inégalités. Les Européens l’ont fait par l’impôt et les aides sociales (l’Etat-providence). Les Etats-Uniens ont longtemps misé sur l’égalité des chances et la dynamique du capitalisme.

Si on suppose qu’en moyenne, tous les hommes sont égaux en capacités, alors la distribution statistique des tares et qualités humaines devrait être la même quel que soit le groupe considéré. En conséquence, chaque strate de la société devrait refléter la composition du corps social. Si cela n’est pas le cas, le courant DIE en déduit qu’il existe des discriminations contre une partie de la population ou bien que des forces sociales tendent à rendre structurelles les inégalités. Pour corriger les inégalités, il suffit donc de donner un coup de pouce aux groupes lésés dans leurs droits. Plusieurs mesures de correction peuvent être implémentées : politique des quotas, discrimination positive, assistance supplémentaire des personnes lésées ou tolérance accrue lors des recrutements, formation contre les discriminations, etc.

Par exemple, le mouvement DIE constate qu’il y a peu de femmes occupant des postes de direction ou de professeur dans le milieu académique, et cela en dépit en de mesures incitatives depuis plusieurs décennies. Il faut donc arriver à un plus juste équilibre des sexes par des mesures plus coercitives de discrimination contre la gent masculine afin d’imposer la parité.

Mais une telle politique bute contre un certain nombre de difficultés et de contradictions. Examinons-les dans le détail.

4.1 L’intersectionnalité

Le mouvement DIE énonce qu’il faut assurer une égalité des chances entre sexes, et entre groupes ethniques. Mais il existe bien d’autres catégories qui peuvent définir l’identité d’un individu. Dans le maelstrom contemporain, la catégorie « sexe » tend à être remplacée par le « genre5 ». Il faudrait donc réserver une place aux personnes qui ne se considèrent ni hommes ni femmes. C’est ainsi que la villa Medici à Rome réserve deux postes de pensionnaires (sur un total de seize allocataires) à des personnes qui se disent non binaires [7].

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Il est clair que la personne qui a charge de famille est professionnellement plus désavantagée que celle qui vit en électron libre. Inversement, une personne qui peut entièrement se reposer sur son conjoint sera encore plus avantagée qu’une personne seule ou une personne mariée mais dont le conjoint est occupé [8]. Il est tout aussi clair que celle qui souffre d’une maladie chronique ou nécessitant un traitement lourd, de handicap, de troubles de l’attention, de bégaiement, de dyslexie, de dépression, etc., est bien moins avantagée que celle qui jouit d’une parfaite santé.

Le mouvement DIE a cru trouver la réponse à ce problème avec le concept d’intersectionnalité. La discrimination positive doit en premier lieu favoriser les individus qui cumulent des désavantages sociaux ou physiques. Actuellement, aux yeux des partisans américains de DIE, ce sont les femmes noires. Ainsi en 2022, le président Biden a dit que le prochain juge qu’il nommera à la Cour suprême sera une femme noire [9]. Et de fait quelques mois plus tard, il nomma la juge Ketanji Brown Jackson. Mais que pense Mme Brown Jackson de cette déclaration ? Qu’elle occupe le poste parce que femme et noire et non du fait de ses compétences ?

Le système méritocratique pouvait laisser le doute sur les compétences de l’heureux élu (le copinage et le réseautage sont des moyens de contourner le système), mais la logique DIE rend le critère de la compétence secondaire. Quelle considération peuvent avoir les gens d’eux-mêmes (personne n’ira se vanter qu’il a eu tel poste parce que représentant de son groupe) ? Quelle confiance pourra-t-on avoir dans l’efficacité du système ? Est-ce que le président Biden accepterait de se faire soigner par un chirurgien qui aurait été diplômé en fonction de son sexe et de son taux de mélanine ? ou en fonction de ses aptitudes6 ?

4.2 Les écarts de salaire ou de reconnaissance comme signature des discriminations systémiques

Le mouvement DIE mesure l’ampleur des discriminations et des forces sociales occultes qui existeraient entre groupes humains en comparant des données globales. Ainsi, chaque année, on nous rappelle qu’en Suisse, le salaire annuel des femmes est en moyenne 16 % inférieur7 à celui des hommes [10-11]. Cette différence est utilisée pour montrer qu’il existe toujours des forces obscures (sexisme, plafond de verre, etc.) à l’œuvre en dépit de la loi qui impose l’égalité salariale.

L’argument est toutefois pour le moins fallacieux. J’en donne un contre-exemple dans un domaine connexe. Le physicien suédois Jan Charles Biro utilise l’argument de la différence entre poids démographique et reconnaissance sociale pour dénoncer la disproportion de savants juifs récipiendaires du prix Nobel (20 %) en comparaison du poids démographique des Juifs (0,15 %) [15]. À l’opposé, il y a un seul physicien issu d’un pays musulman à qui fut décerné le Nobel alors que la population musulmane représente 24 % de la population mondiale. Biro y voit la puissance du lobby juif. On pourrait lui faire remarquer que les Juifs excellent dans bien d’autres domaines : science, littérature, musique, commerce, finance, etc. sans que cette excellence soit sanctifiée par un quelconque jury. Une interprétation un peu moins tordue que celle du complot/lobby juif est que les Juifs sont surreprésentés dans les grands prix parce que tout simplement ils sont meilleurs, et que cette performance est sans doute due à un ensemble de facteurs génétiques, environnementaux et culturels.

Pour les tenants de l’égalité, une telle interprétation est impensable. C’est le tabou absolu. Pourtant, il existe d’autres domaines où certains groupes excellent (par exemple en sport les sprinters jamaïcains et les marathoniens éthiopiens) sans qu’on cherche à justifier les performances par un complot mondial ou des discriminations systémiques. Le mouvement DIE a donc un sérieux problème avec l’existence d’inégalités biologiques, et il multiplie les théories pour expliquer que toute inégalité est nécessairement environnementale (due à l’environnement des individus) ou culturel (le poids des cultures et traditions dans l’éducation des enfants).

4.3 La négation d’aspirations différentes entre sexes

Quand le mouvement DIE postule que tous les humains sont égaux, il reprend l’idée de John Locke selon laquelle l’homme est une feuille blanche (blank slate) et que son esprit est façonné par les usages du pays dans lequel il vit. Quoiqu’essentiellement formulées dans le cadre d’une théorie de la connaissance en réaction aux idées innéistes de Descartes, la philosophie de Locke contenait en germe des idées révolutionnaires qui allaient éclore sous les Lumières. La société d’Ancien Régime était une société de castes, où l’on héritait sa condition ; l’aristocratie (littéralement le gouvernement des meilleurs) et ses privilèges transmis de génération en génération ne peuvent se justifier que s’il y a transmission des vertus par le sang. Remettre en question l’inné a été le premier coup porté aux privilèges de la noblesse. Au fil des deux derniers siècles, on s’est plutôt accommodé avec l’idée que ce que nous sommes résulte en fait d’une multitude de facteurs génétiques, environnementaux et culturels, donc d’un mix d’acquis et d’inné. Il y a eu des moments de remise en cause de cette vue équilibrée entre inné et acquis : l’eugénisme et les théories raciales des 19e et début du 20e siècles donnèrent la primauté à la transmission génétique des capacités. Par un retournement de balancier, le dogme DIE est l’exact inverse de ces théories radicales : rien n’est inné, tout est acquis.

L’observation montre qu’hommes et femmes ont, en moyenne, des aspirations différentes et des stratégies également différentes. Ainsi, dans les activités sportives ou culturelles, la parité n’est que rarement la règle. L’Office fédéral du sport montre par exemple que des sports comme l’équitation sont très féminins (à 73 %), et d’autres comme le hockey sont très masculins (à 93 %) en Suisse [16]. L’équitation étant un sport mixte, femmes et hommes sont classés ensemble dans les compétitions. Le saut d’obstacles est entièrement dominé par les hommes, le dressage par les femmes, et en concours complet, il y a autant d’hommes que de femmes dans l’élite mondiale [17].

Il en est de même dans les métiers choisis par les hommes et les femmes : ainsi 81 % des étudiants en histoire de l’art sont des femmes, alors qu’en génie électrique, on ne compte que 15 % de femmes [18]. En médecine, les deux-tiers des étudiants sont des femmes, et quand on regarde la distribution des spécialités entre sexes, on observe également une forte hétérogénéité : les hommes sont majoritaires (80 %) en chirurgie, et minoritaires en pédiatrie ou dermatologie (20 %) [19]. Les pays progressistes comme l’Europe du Nord sont ceux qui connaissent la plus faible proportion d’étudiantes dans les STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) alors que des pays que nous considérons comme oppressifs en matière de droit des femmes comme l’Iran et la Turquie sont les pays qui ont les plus forts contingents féminins dans les STIM [20-21]. Le paradoxe est connu et bien documenté (et très controversé aussi) depuis de nombreuses années, mais aucune explication simple sur les différences d’aspiration entre sexes n’est apparue comme convaincante compte tenu du grand nombre de facteurs impliqués.

On retrouve de telles disparités dans la vie quotidienne. Les hommes sont connus pour prendre plus de risque, ce qui explique qu’ils constituent l’essentiel des accidents mortels sur les routes [22], mais cette prise de risque leur est plus favorable dans la finance ou les sports extrêmes. Les hommes sont également plus violents (ils constituent les trois quarts des suicides et la quasi intégralité des homicides) [22]. Dans les lauréats du prix Darwin (ironiquement décerné aux personnes mortes de façon stupide), 90 % sont des hommes [23].

Le courant DIE considère qu’il existe d’autres explications à ces disparités : ce sont les stéréotypes, les biais implicites, le harcèlement sexuel, les injonctions, et la prévalence de valeurs masculines utilisées pour définir l’excellence qui expliquent les différences observées entre hommes et femmes. Ainsi, si les femmes ne brillent pas dans un jeu d’adresse comme les fléchettes, ce n’est pas à cause de différences physiologiques, mais parce que

« le physiologique est en partie formé par le social. Par ailleurs, le pub de quartier, qui est l’espace concret des fléchettes, est en effet marqué par des rapports de pouvoir, d’accessibilité et porte encore aujourd’hui l’empreinte de l’entre-soi masculin. Cela a pu alimenter le manque de représentation des femmes dans la pratique, ainsi que des difficultés à se sentir légitimes pour jouer et, donc, avoir des opportunités de progresser » [24].

On avance des explications similaires pour expliquer la faible présence dans les STIM. Ainsi, dans le dernier rapport sous le patronage du FNS, le milieu académique est décrit comme un milieu centré sur les valeurs masculines :

« Non seulement l’archétype de l’universitaire est intrinsèquement sexiste et la construction de l’excellence désavantage les femmes de façon disproportionnée, mais la culture de travail dans le milieu universitaire, la façon dont les chercheurs travaillent et mènent leurs recherches ensemble, est un facteur important qui pousse les femmes à quitter le milieu universitaire. » [25].

L’hypothèse de milieux androcentriques pour justifier les disparités hommes/femmes est certes une possibilité, mais elle a du mal à expliquer l’existence de domaines où les femmes sont largement majoritaires, pourquoi leurs performances varient grandement dans ces domaines (voir l’exemple de l’équitation ci-dessus). Et pour autant, personne ne parle de système gynocentrique. Il est amusant de noter que le rapport FNS [25] n’évoque que des mécanismes qui expliqueraient une discrimination des femmes, et donc leur faible présence ou la reconnaissance insuffisante de leur mérite (par le salaire et/ou la promotion). Il ne cherche pas à comprendre pourquoi le droit ou la médecine sont devenus des secteurs majoritairement féminins, ou comment lutter pour rendre ces disciplines plus attractives pour les hommes.

4.4 Le poids de l’inconscient

Les partisans de DIE reconnaissent volontiers que des efforts ont été faits pour réduire les écarts entre les femmes et les hommes dans les salaires ou dans les postes à responsabilités. Toutefois, selon eux, ces efforts restent insuffisants. Les écarts entre femmes et hommes traduisent l’existence de mécanismes de discrimination intériorisés, qui ne sont pas nécessairement perçus de façon consciente. Ce sont les biais implicites et les stéréotypes. Le courant DIE les décrit de façon systématiquement négative comme des freins à une pleine reconnaissance des mérites des femmes ou des minorités.

Une abondante recherche a été menée en psychologie pour étudier les mécanismes du cerveau [26-30]. Le cerveau apprend par inférence bayésienne, et les biais et heuristiques sont des outils pratiques pour inférer un résultat à partir d’une connaissance (qui peut être un stéréotype, c-à-d. une connaissance subjective mais pas nécessairement erronée, une information lacunaire ou bien une donnée précise acquise précédemment par l’individu). Daniel Kahneman avait montré qu’il existe deux types de réponse du cerveau : une réponse rapide (instinctive) et une réponse lente (élaborée et rationnelle). En soi, les biais ne sont pas nécessairement négatifs ou faux.

Les partisans de DIE se sont surtout attachés à mettre en cause la réponse instinctive qui serait un mécanisme inconscient porteur de préjugés (sexistes, racistes, etc.). Pour cela, ils se fondent sur des tests d’association comme le test de Harvard (IAT : implicit association test), mais après plus de 20 ans de recherches, aucune preuve solide n’a été apportée pour valider l’approche [31-40]. Quoique les méta-analyses aient montré de façon répétée que le test IAT avait une capacité très faible de prédire un quelconque comportement discriminatoire, les concepteurs du test affirment que le test n’est peut-être pas valide à l’échelle individuelle, mais il fournit des tendances crédibles montrant les discriminations à l’échelle collective [41] ; le problème reste de savoir comment un test sans signification à l’échelle individuelle peut le devenir à l’échelle collective.

L’écriture dite inclusive est une vieille marotte des féministes, qui accordent une valeur symbolique au genre grammatical (le genre masculin refléterait systématiquement le mâle). Pendant des années, leur critique radicale de la langue (jugée sexiste) et leurs propositions de réforme sont restées confinées dans les milieux militants. Tout cela change à partir de 2016, date à laquelle on voit l’imposition de cette écriture dans l’administration, certains partis politiques, des milieux associatifs s’affichant de gauche, quelques milieux intellectuels progressistes, etc.

Pour la mouvance DIE, il ne fait pas de doute que la langue est sexiste et se fait le vecteur de stéréotypes. Les féministes et les partisans de DIE8 répètent en chœur que le masculin générique invisibilise les femmes. Des enseignants s’insurgent et annoncent dans une tribune qu’ils n’enseigneront plus que « le masculin l’emporte sur le féminin » [41], une tribune d’autant plus savoureuse qu’on ne trouve trace d’aucune règle formulée de la sorte parmi les plus de mille grammaires françaises produites depuis le 16e siècle [42]. On invente l’âge d’or où le féminin n’aurait pas été invisibilisé mais aurait eu le même statut que le masculin, puis le complot des grammairiens du 17e siècle qui ont masculinisé la langue [43]. C’est la thèse popularisée par la professeure de littérature Eliane Viennot [44] à coup de citations tronquées ou tirées hors de leur contexte ; la thèse est pourtant très loin de la réalité des grammairiens du Grand Siècle [45]. C’est au 17e siècle, nous dit-on, que l’Académie a banni du dictionnaire les « mairesses » et les « philosophesses » [43] ; si les mots n’existent pas dans le dictionnaire, c’est sans doute que dans la société d’Ancien Régime, il n’y avait pas de fonction élective ou de position universitaire pour les femmes (ce qui n’empêchait pas le roi de France de pensionner des femmes de lettres remarquables comme Marie de Gournay ou Anne Dacier). L’absence de mot dans le dictionnaire est une conséquence de l’absence des femmes de la scène publique et non la cause.

Aux travaux historiques se sont joints les travaux de linguistes et de psychologues censés montrer le sexisme de la langue. Ainsi, la linguiste Marina Yaguello note que les insultes sont le plus souvent de genre féminin (canaille, racaille, crapule, etc.), mais semble oublier qu’on peut citer autant d’insultes de genre masculin (chenapan, truand, filou, etc.) [46]. La recherche militante touche aussi la psychologie [47], qui a voulu montrer les problèmes de représentation posés par le masculin générique. Je passe sur toutes les lacunes de ces études (hypothèses bancales, échantillon insuffisant, biais de confirmation, etc.). On peut volontiers admettre que le français est ambigu. Ainsi, dans une phrase quelconque avec le mot « homme », on ne sait pas nécessairement si « homme » renvoie à l’espèce Homo ou bien désigne uniquement des mâles. Mais on peut aussitôt noter que c’est le cas de beaucoup d’énoncés. Ainsi, le mot « terre » peut désigner des parties émergées de la surface terrestre (par opposition à « mer »), mais il peut signifier la planète entière (donc les terres et les mers). C’est le contexte qui est généralement suffisant à éclairer le sens.

Le succès soudain de la langue dite inclusive a encore fait l’objet de peu d’analyses. Il y a naturellement une symbolique entre les genres grammaticaux et les sexes/genres, qui a heurté les égalitaristes, mais il me semble qu’il y a d’autres causes au succès de la langue inclusive. Anne Robatel, professeur d’anglais, est une des rares autrices à s’être attardée sur les motivations profondes de l’adoption du point médian :

« je sais bien que son énoncé [l’usage du masculin générique] n’est pas agrammatical sur le plan linguistique, mais qu’il est juste dissonant par rapport à ma grammaire du monde, la grammaire que je me suis constituée au fil de mes études et lectures. » [49]

Le langage n’est plus vu comme un bien commun qui sert à communiquer, mais un outil du ressenti ou d’appropriation du monde. Le langage repose pourtant sur des conventions, dont le non-respect amène directement à la perte de sens (c’est une version moderne de la tour de Babel). Imaginons qu’en Suisse, des conducteurs décident de rouler sur la voie de gauche, car rouler à droite heurte leur conviction politique9. Imaginons la cacophonie qui règnerait si des musiciens refusaient d’admettre qu’une blanche vaille deux noires à cause de la symbolique raciste sous-jacente, et en conséquence, ils modulent la durée des notes de façon inverse à la pratique actuelle.

La langue dite inclusive est un marqueur qui permet de signaler immédiatement l’appartenance idéologique de ses locuteurs (ou leur soumission à la doxa). Elle est un exemple de la novlangue annoncée par George Orwell dans le roman dystopique « 1984 », et elle n’est pas sans parallèle avec la « lingua tertii imperii » (la langue du IIIe Reich) décrite par le philologue Victor Klemperer de par son usage systématique d’expressions vidées de leurs sens ou complexifiées10.

4.5 La fable des Égaux

Il y a deux 2600 ans de cela, les Grecs testaient une variété de formes de gouvernement. Pour la première fois, on parla d’égalité de tous devant la loi (isonomie). Les Athéniens reconnurent aussi le principe « un homme, une voix ». Toutefois, la démocratie athénienne nous semble bien bancale de nos jours puisque les femmes étaient exclues de la vie politique (quoique influentes et actives dans les coulisses, telle Aspasie, compagne de Périclès) tout comme les étrangers (métèques en grec) et les esclaves. Les Spartiates se choisirent une autre constitution, également égalitaire dans le principe, mais réservant le rôle actif aux seuls Homoioi (les semblables en grec), c-à-d. une caste de guerriers.

Au 19e siècle dans le sillage de la Révolution française, se développèrent des théories de sociétés plus justes et égalitaires. Elles trouvèrent leur illustration dans le développement de communautés utopistes, qui toutes périclitèrent [50], et la Commune de Paris, qui fut réprimée dans le sang [51]. Le courant socialiste fut repris en main dès la seconde internationale en 1889 par les marxistes. La révolution russe de 1917 était censée donner naissance à une sociétaire égalitaire sous la férule de l’Etat. Bien avant la chute du communisme, le journaliste et essayiste anglais George Orwell publiait une féroce satire de la mise en pratique du marxisme dans la Ferme des animaux :

« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ! »

Il touchait un point sensible des sociétés occidentales11, les tentatives d’égalisation n’aboutissaient qu’à une redistribution des cartes, et non à une société réellement égalitaire.

Le mouvement DIE n’est qu’une tentative de redistribution des pouvoirs, mais ne changera rien aux inégalités. C’est d’ailleurs une des leçons tirées par le professeur Walter Benn Michaels après trois de décennies de discrimination positive aux Etats-Unis [54] :

« Les gens ont commencé à remarquer que l’intensité de l’intérêt pour la race des étudiants dans nos universités a coïncidé avec une indifférence plus ou moins complète pour leur richesse. Nous en arrivons au point où il y a plus de noirs que de pauvres dans les universités d’élite (même s’il y a encore très peu de noirs). Et l’ouragan Katrina – avec ses images télévisées des personnes laissées à elles-mêmes dans une Nouvelle-Orléans en proie à la noyade – nous a rappelé qu’il y a encore des pauvres en Amérique et nous a donné une vision des conséquences de cette pauvreté. »

4.6 La lutte des sexes

Pour le jeune Marx, la révolution de 1848 et le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte de 1851 furent les terrains idéaux pour théoriser les ressorts psychologiques et sociologiques des différentes classes, et pour interpréter le changement de pouvoir sous l’angle de la lutte des classes. Le concept a fait florès depuis lors.

Le courant DIE ne décrit pas la société avec les mêmes catégories socioéconomiques que Marx, mais il reprend à son compte l’existence de classes en lutte ainsi que de liens de domination entre classes. Les principales classes sont le sexe (que DIE appelle genre), la race (c’est-à-dire quelque chose de flou combinant l’origine ethnique, la couleur de peau, la langue, etc.) et l’orientation ou identité sexuelle (là encore on note l’ambiguïté de l’acronyme LBGTQ+ dont chaque initiale renvoie à des catégories de nature différente). Comme l’appartenance à une classe n’est pas exclusive, le courant DIE utilise aussi le concept d’intersectionnalité évoqué précédemment.

Cependant, contrairement à la lecture marxiste de la société capitaliste, il n’y a pas de conscience de classe12, et les différences entre classes ne sont pas forcément plus marquées qu’entre individus de la même classe. Les universités pourraient se livrer à une étude instructive : considérer une cohorte d’individus aux caractéristiques identiques selon la catégorisation DIE (prenons des mâles blancs de 50 ans supposés être la classe dominante) et examiner le parcours professionnel de chacun d’eux ainsi que leur statut social. Mon avis intuitif, mais tiré de ce que j’observe autour de moi, est qu’il existe bien plus de disparités entre hommes qu’entre hommes et femmes chez les professeurs à âge et performances égales13. Les inégalités existent, mais ce ne sont pas celles dont on parle14.

Au final, la catégorisation utilisée par DIE relève plus du discours militant que de l’outil théorique qui nous permettrait de comprendre la dynamique des groupes.

5 Diversité

Pour un partisan de DIE, regarder une photo d’une conférence scientifique datant d’avant les années 1990 est un exercice difficile [55]. On n’y voit que des hommes blancs ou presque. Les cénacles du pouvoir, les cercles les plus prestigieux des sociétés savantes, et la fine fleur du monde culturel ont été accusés d’être des repaires de vieux mâles blancs. Or, le monde est varié, bariolé, bigarré. Il faut donc changer tout cela en ouvrant la porte à toutes les catégories oubliées.

Les mesures de discrimination positive ont été implémentées par les universités américaines pour accroître la proportion d’étudiants noirs et hispaniques. Au fil des années, le principal groupe lésé a été les Asiatiques, qui se sont vus imposer des mesures discriminatoires (tout comme les Juifs avant 1945). Il a fallu attendre un arrêt de la Cour suprême en 2023 pour que cette clause disparût [56-58]. On voit donc que la promotion de la diversité est allée contre l’égalité des chances. C’est là une des grosses contradictions de DIE.

Une université est une usine à idées, et donc quand on parle diversité, on devrait préférentiellement parler de diversité des idées, des approches, ou des méthodes plutôt que de diversité dans le sexe, l’origine ethnique, la langue, la religion, etc. Mais il n’est pas question de cela, ou rarement [59]. Une des choses les plus contradictoires de DIE est qu’en même temps que ses partisans louangent la diversité ethnique et sexuelle (y compris les mœurs sexuels), ils se montrent intolérants vis-à-vis de toute pensée jugée hétérodoxe. Il est instructif de voir que les universités les plus actives dans le mouvement DIE sont aussi les plus intolérantes. Harvard est ainsi classé comme l’université la plus intolérante où le climat de liberté d’expression est considéré comme épouvantable [60]. La très prestigieuse université américaine fait aussi face à de graves accusations d’antisémitisme larvé [61-63]. Une enquête d’opinions montre également que Harvard est l’université la plus polarisée politiquement, avec seulement 3 % de professeurs se considérant comme conservateurs [64] alors qu’à l’échelle des Etats-Unis, le parti conservateur attire 36 % des électeurs [65]. Cette polarisation a d’importantes conséquences sur la façon dont les idées scientifiques sont acceptées ou le milieu académique est perçu à l’extérieur. Ainsi, Steven Pinker, lui-même professeur à Harvard, explique que les vues libérales de ses collègues leur font rejeter, sur une base purement idéologique, les conséquences du comportement inné [66]. Greg Lukianoff et Jonathan Haidt disent que si d’un côté les universités sont devenues presque exclusivement des foyers de la pensée « libérale », le camp conservateur domine encore une grande partie du champ économique et politique, et il s’est créé un fort antagonisme entre les deux milieux, et que la défiance s’est fortement accrue en dix ans [1].

Plusieurs affaires récentes illustrent la chasse aux sorcières dans le monde académique sous le dogme DIE. Une des affaires les plus emblématiques est celle d’Alessandro Strumia, professeur de physique à l’Université de Pise et chercheur invité au CERN. En 2018, il participa à un séminaire « High Energy Theory and Gender » au CERN, et présenta une analyse bibliométrique, qui montrait que les physiciennes ne souffrent pas de discrimination au cours de leur carrière, et qu’elles reçoivent moins de citations que leurs homologues masculins à âge égal au fur et à mesure de leur carrière. Le séminaire de Strumia donna lieu à une chasse aux sorcières inédite par son ampleur et sa virulence, à la fin de son statut de chercheur associé au CERN, à une enquête disciplinaire à l’Université de Pise, et à des attaques incessantes dans les médias qu’il décrit sur son blog [68]. À la suite de cela, il approfondit son analyse bibliométrique et publia ses résultats [69]. Son article attira des commentaires abondants, dont ceux de Sabine Hossenfelder15 qui déclara reproduire les résultats de Strumia [70-71]. L’analyse de Strumia n’a pas été réfutée à ce jour, mais il a été condamné sur la place publique et ostracisé. Les ombres de Galilée et de Giordano Bruno planent désormais sur le CERN.

Une autre affaire révélatrice du climat délétère actuel est l’article d’opinion publié par Abigail Thompson (professeure à UC Davis et vice-présidente de l’AMS) dans les Notices of the American Mathematical Society [72]. Thompson s’insurgea contre la procédure DIE dans les recrutements de professeurs. Là encore, s’ensuivit une violente campagne contre la mathématicienne parce qu’elle avait comparé ce qui se passe actuellement dans les universités américaines avec la chasse aux communistes durant le maccarthysme dans les années 1950 [73]. Parmi les commentaires négatifs, on retient ceux de Karoline Pershell de l’Association for Women in Mathematics, association dont la mission n’est pas de défendre les mathématiques ou les mathématiciennes, mais d’être une plateforme pour promouvoir la diversité et l’inclusion (selon leur site web) [74]. C’est un point commun avec beaucoup de sociétés savantes, qui depuis le début du mouvement DIE ont abandonné leurs missions historiques (valorisation de la science, dissémination, lutte contre la fraude scientifique, etc.) pour se faire les chantres de la diversité et de l’inclusion. Quoique, selon ses statuts, l’association « défende la circulation de toutes les idées » [74], Karoline Pershell affirme qu’elle veut

« que les étudiants et professeurs, particulièrement ceux qui ont plusieurs identités qui sont minorisées en mathématiques, sachent que beaucoup de mathématiciens voient ce travail d’inclusion comme partie intégrante de notre communauté et de notre identité. »

La liberté académique s’arrête là où commence DIE.

Une autre affaire récente est celle du professeur de philosophie Nathan Cofnas à l’Université de Cambridge. Celui-ci a publié sur son blog personnel un long article sur les tares de la droite dans les pays anglo-saxons, droite qui est accusée de ne pas s’attaquer directement à la source du mal [75] : selon Cofnas, la thèse selon laquelle tous les humains sont égaux en capacités est un mensonge. Il appelle notamment la droite à être réaliste et transparente quant aux inégalités raciales. Il critique l’idée du conservateur Christopher Rufo de mettre en place un système de sélection sans distinction de couleur car celui-ci aboutirait à la disparition virtuelle des noirs « de tous les postes d’élite en dehors du sport et du spectacle. » La phrase met le feu aux poudres. Le collège Emmanuel (dans lequel enseigne Cofnas) décide de mettre fin à son contrat de travail [76] :

« La commission a d’abord examiné la signification du blog et a conclu qu’il équivalait, ou pouvait raisonnablement être interprété comme équivalant, à un rejet des politiques de diversité, d’égalité et d’inclusion (DEI)… La commission a conclu que la mission principale du collège était d’atteindre l’excellence en matière d’éducation et que la diversité et l’inclusion étaient indissociables de cette mission. Les idées défendues par le blog représentent donc un défi aux valeurs fondamentales et à la mission de l’établissement. »

Le professeur Peter Singer (Princeton) vient en défense de son collègue (en dépit de l’abysse politique qui les sépare, Singer appartenant à la gauche radicale). Il note que pour le collège Emmanuel,

« la liberté d’expression n’inclut pas la liberté de contester les politiques DEI et que le fait de les contester peut être un motif de licenciement. C’est une déclaration extraordinaire de la part d’une institution du troisième cycle. »

Je cite trois cas, mais il en existe bien d’autres peu relayés par les médias (Carole-Hooven virée de Harvard pour avoir déclaré que le sexe est un fait biologique, Kathleen Stock contrainte à la démission après une violente campagne orchestrée par des militants transgenres l’accusant d’être une « trans exclusionary radical feminist » en 2021, Jonathan Haidt16 poussé à la démission en 2022 de la Society for Personality and Social Psychology, Valérie Plazenet virée en 2023 de Sciences Po Paris pour continuer à utiliser les catégories « homme » et « femme », Richard Bilkszto qui s’est suicidé en 2023 après une cabale sur les réseaux sociaux l’ayant accusé de racisme après qu’il a formulé une remarque sur DIE, Martin Medhurst de Baylor University violemment pris à parti après avoir écrit en 2019 un éditorial appelant à soutenir le mérite intellectuel dans l’attribution des récompenses, etc.).

6 Inclusion

Pendant longtemps, « inclusion » a désigné l’effort nécessaire pour intégrer un certain nombre de personnes souffrant de maladies, de déficiences, de troubles de nature diverse, ou de handicap dans le monde du travail et la société. Cela s’est traduit par exemple par une amélioration des infrastructures pour permettre le déplacement des personnes handicapées et malvoyantes, ou le doublage des informations télévisées pour les malentendants.

On mesure l’écart entre cette approche d’intégration et la vision DIE de l’inclusion, qui selon le document du CEPF implique qu’il s’agit de « créer un environnement dans lequel chaque personne se sente respectée, valorisée et habilitée à participer et à s’engager pleinement. Elle va au-delà de la simple reconnaissance de la diversité et vise à cultiver un sentiment d’appartenance. L’inclusion implique d’éliminer les obstacles, les préjugés et la discrimination. » Après la disparition du nationalisme (qui impliquait l’exaltation des valeurs patriotiques et le don à la mère patrie), je ne connais que quelques endroits où l’on parle de « s’engager pleinement » et de « sentiment d’appartenance » : l’armée, les religions, et les grandes firmes qui cultivent la cohésion de groupe à coup de formations et stages « team building ». Cela permet de situer DIE sur le plan idéologique.

L’université a longtemps été le refuge d’esprits rebelles, d’excentriques, de déclassés, de parias, etc., qui ont brillé par leur curiosité et leur créativité [77]. La physique théorique ou les mathématiques fournissent de nombreux exemples (d’Einstein à Feynman, de Turing à Nash en passant par Grothendieck). Avec la dérive bureaucratique, la gestion productiviste de la recherche au sein des universités et la polarisation idéologique, les exemples se sont multipliés de scientifiques quittant l’université ou exprimant la nostalgie d’une époque révolue. Interrogé après son prix Nobel en 2013, Peter Higgs, le père du boson éponyme, confiait qu’il serait aujourd’hui bien incapable de décrocher un travail à l’université compte tenu de la nouvelle orientation [78]. Des affaires récentes à l’EPFL comme le récent cas Haoqian Zhang (doctorant licencié pour « manque de loyauté » en avril 2024) confirment la difficulté qu’ont les institutions bureaucratiques à faire face à des esprits bizarres et des électrons libres. L’inclusion ne concerne que ceux qui sont conformes au dogme DIE. Pour les autres, la porte est ouverte (vers la sortie).

Le paradoxe des dernières années est donc qu’en dépit d’un discours de bienveillance et d’ouverture, l’université est devenue de plus en plus conformiste, et de moins en moins inclusive (ironiquement, c’est d’ailleurs son étymologie latine : tourné vers le un). Le fait n’est pas nouveau. Durant le siècle des Lumières, la science et la philosophie se sont construites de plus en plus loin des universités, devenues le royaume des Diafoirus. Le renouveau n’eut lieu qu’après la réforme humboldtienne des universités au 19e siècle. Au 20e siècle, les Soviétiques voulaient purger la science de l’influence impure de la bourgeoisie pour établir une science prolétarienne [79], tandis que les nazis entendaient aryaniser la physique et l’expurger de la physique juive [80]. Il est intéressant de noter à travers l’exemple communiste ou nazi que beaucoup d’universitaires continuèrent de contribuer au système académique même s’ils ne partageaient pas les vues imposées par l’Etat. Ils ont tout simplement fait profil bas. La résistance n’a concerné que quelques individus, et elle leur a été en général fatale (à moins qu’ils aient pu fuir).

Au passage, je note que parmi mes collègues qui ont, comme moi, des positions éditoriales dans des revues scientifiques américaines, une infime minorité a réagi contre l’imposition de critères DIE dans l’édition scientifique, même si en privé, une majorité d’entre eux ne montrent aucune accointance avec l’idéologie DIE, voire se montrent franchement hostiles. Aux Etats-Unis, se démarquer du dogme DIE a un coût social comme le montre les cas que j’ai cités au § 5.

Les régimes communiste et nazi ont été des formes extrêmes de contrôle de la science, mais même à plus petite échelle, l’incursion de la morale dans le domaine académique a eu de fâcheuses conséquences dans les démocraties occidentales : en 1911, Marie Curie subit une attaque de la droite nationaliste française après que sa liaison avec Paul Langin a été révélée par la presse, et elle fut découragée d’aller chercher son prix Nobel par ses collègues physiciens « au nom de la morale » [81] ; en 1940, le philosophe et mathématicien Bertrand Russel perdit son poste au City College of New York après qu’une cabale de bigots l’eut attaqué pour ses vues jugées amorales sur la sexualité et le mariage, vues qu’il avait exprimées à titre personnel dans ses ouvrages bien antérieurs à sa nomination [82].

Beaucoup d’éléments convergent pour montrer que l’université est au début d’une profonde crise. Il n’est pas anodin que plusieurs universitaires issus de pays différents pointent les menaces sur l’enseignement supérieur, la recherche et la liberté académique. D’aucuns critiquent la polarisation politique ou la censure au sein de l’université devenue un repaire de gauchistes [83-88], tandis que d’autres s’alarment de l’attaque de la droite conservatrice contre l’université [89-90] ou le tournant autoritaire des universités [91-94]. Plus généralement, se pose la question de l’université dans un système d’éducation de masse [95-97]. Avant les années 1990, seule une fraction de la population poursuivait dans le cycle supérieur, et il était possible de sélectionner les étudiants sur la base de leur mérite scolaire. La sélection permettait d’assurer un ascenseur social aux étudiants issus des couches les plus défavorisées. Trente ans plus tard, la plupart des étudiants accèdent au troisième cycle, mais les promesses d’un monde post-industriel radieux n’ont pas été tenues : l’ascenseur social est en panne, et on assiste à la disparition des métiers intermédiaires, à l’émergence d’une « élite cognitive » qui est globalement la grande gagnante de la mondialisation, et à la relégation d’une partie de la population vers les petits emplois mal payés et mal considérés [95-96]. Le système scolaire méritocratique a disparu, mais pas la fétichisation de l’excellence [97-99]. Michael Sandel, philosophe à l’université de Harvard, notait que parmi les 40 000 étudiants qui postulent chaque année à Harvard et Stanford, seuls 2000 sont acceptés, mais plutôt que de passer du temps à sélectionner les heureux élus, on pourrait tout aussi bien les sélectionner en piochant au hasard les dossiers [98]. Le patron du FNS, Matthias Egger, ne proposait pas autre chose pour la sélection de projets par le FNS [100].

La massification de l’enseignement et la mondialisation ont produit des effets contre-intuitifs. Jusqu’aux années 1990, les carrières scientifiques étaient celles qui attiraient les meilleurs étudiants, mais cela n’est plus le cas. Ainsi, les bons étudiants américains et européens optent de plus en plus pour les emplois les plus rémunérateurs dans la gestion des affaires, le droit et la finance, et délaissent les STIM [101-102]. En 2021, aux Etats-Unis, les « STEM workers » représentaient 37 millions d’emplois et constituaient le fer de la puissance technologique américaine. Parmi ces travailleurs, 20 % venaient de l’étranger, et parmi les jeunes diplômés, le taux d’étrangers montait à environ 40 % (cela varie un peu selon le diplôme) [103]. Les Asiatiques (Chinois, Coréens et Indiens) représentaient l’essentiel de cette main d’œuvre étrangère hautement qualifiée. Bref, l’étudiant autochtone est en voie de disparition dans les filières STIM, et le système ne parvient à fonctionner que par l’arrivée massive d’étudiants étrangers.

Le mouvement DIE est un épouvantail supplémentaire, qui fera fuir les étudiants les plus talentueux. Pourquoi gâcher ses chances si les dés sont pipés ? L’université du 21e siècle va ressembler à l’université du 18e siècle, un entre-soi en déconnexion avec le monde. La science se fera ailleurs.

7 Synthèse

DIE est un mouvement qui se situe dans la continuité des actions de discrimination positive entreprises aux Etats-Unis depuis les années 1970 pour lutter contre les inégalités économiques et sociales entre communautés (blanche, noire, hispanique, américaine native, et asiatique) et pour promouvoir le vivre-ensemble.

Dans les faits, c’est un mouvement foncièrement inégalitaire qui prétend combattre les inégalités en créant de nouvelles inégalités – un mantra qui aurait plu à Orwell. DIE est un dogme qui se fonde sur un discours militant (un reliquat des ligues de vertu, teinté de marxisme) et qui pratique la censure au nom de la défense de personnes érigées en victimes systémiques. DIE est aussi un juteux marché (8 milliards USD en 2020 pour les seuls Etats-Unis [104]). DIE crée une nouvelle caste bureaucratique (une sorte de clergé) chargée d’imposer le nouveau dogme et propager la seule vraie foi.

Comme toutes les entreprises qui ont, par le passé, prétendu moraliser ou purifier le milieu académique, DIE est une double menace. DIE menace tout d’abord les universitaires. Comme le souligne Jesse Singal, journaliste au New York Times [105] :

« Le type particulier de formation sur la diversité qui est actuellement en vogue – les formations obligatoires qui blâment les groupes dominants pour les problèmes liés à la diversité, l’équité et l’incision – peut avoir un effet négatif net sur les résultats auxquels les gestionnaires prétendent se préoccuper. »

DIE remet en question les conditions mêmes qui rendent possible la science. Selon Jonathan Haidt17 [106],

« Elle [DIE] pèche non seulement sur le plan moral, mais elle est aussi incompatible avec la recherche scientifique, qui exige une fidélité totale à la vérité. La façon dont les institutions s’effondrent est qu’elles deviennent structurellement stupides. Cela signifie que les gens ne peuvent plus s’opposer, ils doivent suivre l’orthodoxie. Il s’agit du plus grand problème auquel notre pays est confronté : l’effondrement de nos institutions. »

Aux États-Unis, on commence à voir un repli du mouvement DIE face aux troubles causés dans les universités. En mai 2024, le Washington Post saluait la décision du MIT de mettre fin aux « déclarations DIE » exigées aux candidats à des postes au MIT [107] :

« La dernière chose dont le monde universitaire – ou le pays – a besoin, c’est d’une nouvelle incitation à l’insincérité ou à la malhonnêteté. L’objectif même de l’université est d’encourager le libre échange d’idées, de rechercher la vérité où qu’elle puisse mener, et d’élever la curiosité intellectuelle et l’ouverture d’esprit des professeurs et des étudiants. Quelle que soit leur intention initiale, les déclarations de DEI ont trop souvent abouti à une autocensure et à une police idéologique. Les reconsidérer fondamentalement pourrait en fait renforcer la DEI, en la plaçant sur une base plus durable – intellectuellement et politiquement. Le MIT est l’un des premiers à s’attaquer à ce problème ; espérons qu’il ne sera pas le dernier. »

Pour conclure, je citerai Steven Pinker18, qui en décembre 2023, s’est exprimé dans le Boston Globe à la suite des scandales à répétition dans son université. Il appelle à un retour vers les valeurs traditionnelles de l’université (liberté académique, neutralité, non-violence et diversité des opinions). Il conclut sur la nécessité d’un moratoire du courant DIE [108].

« Il faut démanteler DIE. La plupart des attaques contre la liberté académique (sans parler du bon sens) proviennent d’une bureaucratie en plein essor qui appelle à la diversité, équité et inclusion tout en imposant une uniformité d’opinion, une hiérarchie des groupes de victimes et l’exclusion des libres penseurs. Souvent nommés à la hâte par les doyens pour expier une gaffe ou un outrage, ces fonctionnaires mettent subrepticement en œuvre des politiques qui n’ont jamais été approuvées lors des délibérations des facultés ou par les dirigeants de l’université prêts à en assumer la responsabilité.

Un exemple tristement célèbre est celui des sessions de formation pour les étudiants de première année, qui les terrifient en les avertissant de toutes les façons dont ils peuvent être racistes (par exemple en leur demandant « d’où venez-vous ? »). Un autre exemple est celui des déclarations de diversité obligatoires pour les candidats à un emploi, qui purgent la prochaine génération de chercheurs de tous ceux qui ne sont pas des idéologues wokes ou des dissimulateurs. Et comme l’intolérance décomplexée est en fait rare dans les universités d’élite, les bureaucrates dont le travail dépend de l’éradication des actes d’intolérance sont incités à affiner leurs compétences à la façon des tests de Rorschach pour discerner des formes toujours plus subtiles de préjugés « systémiques » ou « implicites ».

Les universités devraient endiguer le flot de fonctionnaires DIE, exposer leurs politiques à la lumière du jour et abroger celles qui ne peuvent être justifiées publiquement. »

8 Références

[1] Greg Lukianoff and Jonathan Haidt, The Coddling of the American Mind: How Good Intentions and Bad Ideas Are Setting Up a Generation for Failure, Penguin Press, 2018

[2] Fabrice Delaye, Patrick Aebischer, Favre, Lausanne, 2015.

[3] Libero Zuppirolli, La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? Editions d’en bas, Lausanne, 2010. Voir aussi : King, D.A., The scientific impact of nations, Nature, 430 (6997), 311-316, 2004.

[4] Benjamin Ginsberg, The Fall of the Faculty. The Rise of the All-Administrative University and Why It Matters, Oxford University Press, Oxford, 2011.

[5] Thomas Frank, Listen, Liberal: Or, What Ever Happened to the Party of the People? Macmillan, New York, 2015

[6] Spitz, J.-F., Rousseau et la tradition révolutionnaire française : une énigme pour les républicains, Les études philosophiques (4), 445-461, 2007.

[7] https://www.villamedici.it/fr/a-la-villa-fr/les-pensionnaires-2024-2025-de-la-villa-medicis/

[8] Lubinski, D., C.P. Benbow, and H.J. Kell, Life paths and accomplishments of mathematically precocious males and females four decades later, Psychological Science, 25 (12), 2217-2232, 2014.

[9] https://www.theguardian.com/law/2022/jan/27/biden-to-nominate-first-black-woman-supreme-court-end-february

[10] https://frontpopulaire.fr/societe/contents/les-femmes-travaillent-elles-gratuitement-a-partir-de-ce-vendredi-4-novembr_tco_16270860

[11] https://www.rts.ch/info/economie/14069106-les-syndicats-denoncent-un-bilan-mitige-de-la-loi-sur-legalite-salariale.html

[12] https://www.letemps.ch/economie/carrieres/peuton-honnetement-conclure-femmes-cherchent-un-pourvoyeur-famille et https://www.letemps.ch/economie/carrieres/ne-devons-forcer-femmes-ayant-dambition-sen-trouver-insatisfaites

[13] Bolotnyy, V., and N. Emanuel, Why do women earn less than men? Evidence from bus and train operators, Journal of Labor Economics, 40 (2), 283-323, 2022.

[14] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/07/la-parite-de-salaires-stagne-dans-l-ocde-les-femmes-souffrent-d-une-penalite-de-maternite_6164498_3224.html

[15] https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/07/un-nouveau-revisionisme-le-prix-nobel-et-les-juifs_1503985_3232.html

[16] https://www.baspo.admin.ch/fr/sport-suisse

[17] https://fr.wikipedia.org/wiki/Classements_mondiaux_de_la_F%C3%A9d%C3%A9ration_%C3%A9questre_internationale

[18] https://www.letemps.ch/data/tech-manquetelle-femmes

[19] https://www.lequotidiendumedecin.fr/internes/etudes-medicales/internat-les-specialites-que-les-femmes-preferent-celles-que-les-hommes-fuient

[20] Stoet, G., and D.C. Geary, The gender-equality paradox in science, technology, engineering, and mathematics education, Psychological science, 29, 581-593, 2018. Voir aussi :

  • Skibba, R., Women in physics, Nature Reviews Physics, 1 (5), 298-300, 2019.

  • Peplow, M., Women’s work, Nature Reviews Chemistry, 3 (5), 283-286, 2019.

  • Charles, M., and K. Bradley, Indulging our gendered selves? Sex segregation by field of study in 44 countries, American journal of sociology, 114 (4), 924-976, 2009.

  • Erdmann, M., A. Marques Hill, M. Helbig, and K. Leuze, Do women’s empowerment and self-expression values change adolescents’ gendered occupational expectations? Longitudinal evidence against the gender-equality paradox from 26 European countries, Frontiers in Sociology, 8, 1175651, 2023.

[21] Fabiola Flex, Pourquoi la Science n’aime pas les femmes, Buchet Chastel, Paris, 2021.

[22] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/developpement-durable/monet-2030/tous-selon-themes/3-sante.html Voir aussi : Lucile Peytavin, Le coût de la virilité Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes, Éditions Anne Carrière, Paris, 2021.

[23] https://en.wikipedia.org/wiki/Darwin_Awards

[24] https://www.letemps.ch/sport/pourquoi-n-y-a-t-il-que-deux-femmes-au-championnat-du-monde-mixte-de-flechettes

[25] Zimmermann, A., D. Oliveira, and L.D. Illmer, Gender equality measures in academia, University of Basel, Basel, 2022.

[26] Kahneman, D., P. Slovic, and A. Tversky, Judgment under uncertainty: Heuristics and biases, Cambridge University Press, 1982.

[27] Daniel Kahneman, Thinking, Fast and Slow, 499 pp., Penguin Books, London, 2011.

[28] Gerd Gigerenzer, Gut feelings: The intelligence of the unconscious, Penguin, 2007.

[29] Stanislas Dehaene, Le code de la conscience, Odile Jacob, Paris, 2014.

[30] Albert Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, Éditions Allary, Paris, 2019.

[31] https://www.thecut.com/2017/01/psychologys-racism-measuring-tool-isnt-up-to-the-job.html

[32] Blanton, H., J. Jaccard, J. Klick, B. Mellers, G. Mitchell, and P.E. Tetlock, Strong claims and weak evidence: reassessing the predictive validity of the IAT., Journal of applied Psychology, 94 (3), 567, 2009.

[33] Levy Paluck, E., R. Porat, C.S. Clark, and D.P. Green, Prejudice reduction: Progress and challenges, Annual review of psychology, 72, 533-560, 2021.

[34] Corneille, O., and M. Hütter, Implicit? What do you mean? A comprehensive review of the delusive implicitness construct in attitude research, Personality and Social Psychology Review, 24 (3), 212-232, 2020.

[35] Jost, J.T., The IAT is dead, long live the IAT: Context-sensitive measures of implicit attitudes are indispensable to social and political psychology, Current Directions in Psychological Science, 28 (1), 10-19, 2019.

[36] Gawronski, B., Six lessons for a cogent science of implicit bias and its criticism, Perspectives on Psychological Science, 14 (4), 574-595, 2019.

[37] Fiedler, K., C. Messner, and M. Bluemke, Unresolved problems with the « I’‘, the « a’‘, and the « T’’: A logical and psychometric critique of the Implicit Association Test (IAT), European Review of Social Psychology, 17 (1), 74-147, 2006.

[38] Carlsson, R., and J. Agerström, A closer look at the discrimination outcomes in the IAT literature, Scandinavian journal of psychology, 57 (4), 278-287, 2016.

[39] Machery, E., Anomalies in implicit attitudes research, Wiley Interdisciplinary Reviews: Cognitive Science, 13 (1), e1569, 2022.

[40] https://spsp.org/news-center/character-context-blog/stereotype-accuracy-one-largest-and-most-replicable-effects-all

[41] Greenwald, A.G., M.R. Banaji, and B.A. Nosek, Statistically small effects of the Implicit Association Test can have societally large effects., Journal of Personality and Social Psychology, 108, 553-561, 2015.

[42] http://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs-professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin

[43] Danièle Manesse et Gilles Siouffi, Le féminin et le masculin dans la langue, ESF Sciences Humaines, Paris, 2019.

[44] https://www.letemps.ch/opinions/langage-brouille-nos-representations-genre

[45] Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Editions IXe, Donnemarie-Dontilly, 2014.

[46] Ayres-Bennett, W., and M. Seijido, Remarques et observations sur la langue. Histoire et évolution d’un genre, Garnier, Paris, 2011.

[47] Marina Yaguello M., Les mots ont un sexe, Éditions Points, Paris, 2014.

[48] Pascal Gygax, Sandrine Zufferey, and Ute Gabriel, Le cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes, Le Robert, Paris, 2021.

[49] Anne Robatel, Dieu, Le point médian et moi, Éditions Intervalles, Paris, 2020.

[50] Jean-Christophe Petitfils, Les communautés utopistes au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1982.

[51] Michèle Riot-Sarcey, Le procès de la liberté, Éditions La Découverte, Paris, 2016.

[52] Pierre Clastres, La société contre l’État : recherches d’anthropologie politique, Éditions de Minuit, Paris, 1974.

[53] David Graeber and David Wengrow, The Dawn of Everything: A New History of Humanity, Allen Lane, London, 2021.

[54] Walter Benn Michaels, The trouble with diversity: https://prospect.org/features/trouble-diversity/

[55] https://www.nytimes.com/2013/10/06/magazine/why-are-there-still-so-few-women-in-science.html

[56] https://www.rts.ch/info/monde/14140998-la-cour-supreme-des-etatsunis-met-fin-a-la-discrimination-positive-dans-les-universites.html

[57] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/14/le-gouvernement-americain-accuse-l-universite-yale-de-discrimination-envers-les-blancs-et-les-asiatiques_6048915_3210.html

[58] https://www.letemps.ch/monde/la-cour-supreme-americaine-met-fin-a-la-discrimination-positive-dans-les-universites

[59] https://eos.org/opinions/does-our-vision-of-diversity-include-social-conservatives

[60] https://www.thefire.org/college-free-speech-rankings Voir également le sondage réalisé par The Crimson

https://www.thecrimson.com/article/2024/5/20/2024-faculty-survey-3/

[61] https://www.nytimes.com/2024/05/16/us/harvard-antisemitism-house-report.html

[62] https://www.nytimes.com/2024/03/14/opinion/harvard-mit-and-systemic-antisemitism.html

[63] https://www.letemps.ch/monde/antisemitisme-endemique-sur-les-campus-americains-harvard-et-d-autres-prestigieuses-universites-sous-le-coup-d-une-enquete-du-congres

[64] https://www.thecrimson.com/article/2023/5/22/faculty-survey-2023-politics/

[65] https://news.gallup.com/poll/328367/americans-political-ideology-held-steady-2020.aspx

[67] Steven Pinker, The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature, Penguin, New York, 2003.

[68] https://alessandrostrumia.home.blog/gender-talk-at-cern/

[69] Strumia, A., Gender issues in fundamental physics: A bibliometric analysis, Quantitative science studies, 2 (1), 225-253, 2021.

[70] https://direct.mit.edu/qss/article/2/1/277/99133/Reply-to-commentaries-about-Gender-issues-in

[71] http://backreaction.blogspot.com/2018/10/gender-bias-in-academia-case-strumia.html

[72] https://www.ams.org/journals/notices/201911/rnoti-p1778.pdf

[73] https://www.ams.org/journals/notices/202001/rnoti-o1.pdf

[74] https://awm-math.org/about/

[75] https://ncofnas.com/p/why-we-need-to-talk-about-the-rights

[76] https://www.japantimes.co.jp/commentary/2024/05/07/cambridge-support-free-speech/

[77] Freeman Dyson, The Scientist as Rebel, The New York Review of Books, New York, 2006.

[78] https://www.theguardian.com/science/2013/dec/06/peter-higgs-boson-academic-system

[79] Krylov, A.I., The peril of politicizing science, The Journal of Physical Chemistry Letters, 12 (22), 5371-5376, 2021.

[80] Ball, P., Science and ideology the case of physics in nazi Germany, Metode Science Studies Journal (7), 69-77, 2017.

[81] Blanc, K., Le couple Curie et les prix Nobel, Bibnum, 1172, 2018.

[82] Olivier Beaud, Le savoir en danger, Presses universitaires de France, Paris, 2021.

[83] Peter Fleming, Dark Academia. How Universities Die, Pluto Press, London, 2021.

[84] Joanna Williams, Academic Freedom in an Age of Conformity. Confronting the Fear of Knowledge, Palgrave Macmillan, Hampshire, 2016.

[85] Matthew W. Finkin, and Robert C. Post, For the Common Good — Principles of American Academic Freedom, Yale University Press, New Haven, 2009.

[86] Carry Nelson, No university is an island. Saving academic freedom, New York University Press, New York, 2010.

[87] Heinrich Reichman, The Future of Academic Freedom, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2019.

[88] Christopher Newfield, C., The Great Mistake: How We Wrecked Public Universities and How we Can Fix Them, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2019.

[89] Robert G. Muso, The Attack on Higher Education – The Dissolution of the American University, Cambridge University Press, Cambridge, 2021.

[90] Stanley Fish, Versions of Academic Freedom: from Professionalism to Revolution, The Chicago University Press, Chicago, 2014.

[91] John Smyth, The Toxic University — Zombie Leadership, Academic Rock Stars and Neoliberal Ideology, Palgrave Macmillan, London, 2017.

[92] Hermanowicz, E.T., and J.C. Hermanowicz, The perversion of virtue: Causes and consequences of threats to academic freedom in the contemporary university, Journal of Controversial Ideas, 3 (1), 1-20, 2023.

[93] Martin, B.R., What’s happening to our universities, Prometheus, 34, 7-24, 2016.

[94] https://rogueesr.fr/bureaucratie/

[95] David Goodhart, The Road to Somewhere: The Populist Revolt and the Future of Politics, C. Hurt & Co., London, 2017.

[96] Emmanuel Todd, La lutte des classes en France au XXIe siècle, Seuil, Paris, 2020.

[97] Moore, S., C. Neylon, M.P. Eve, D.P. O’Donnell, and D. Pattinson, « Excellence R Us’’: university research and the fetishisation of excellence, Palgrave Communications, 3 (1), 1-13, 2017.

[98] Michael J. Sandel, The Tyranny of Merit — What’s become of the Common Good?, Allen Lane, London, 2020.

[99] Peter Handler, The Crisis of The Meritocracy, Oxford University Press, Oxford, 2020.

[100] https://www.revue-horizons.ch/2018/06/05/pourquoi-ne-pas-tirer-au-sort-les-projets-de-recherche-a-financer/

[101] https://www.nytimes.com/2011/11/06/education/edlife/why-science-majors-change-their-mind-its-just-so-darn-hard.html

[102] Becker, F.S., Why don’t young people want to become engineers? Rational reasons for disappointing decisions, European journal of engineering education, 35 (4), 349-366, 2010.

[103] https://www.axios.com/2024/03/13/us-workforce-foreign-born-stem-research

[104] https://www.mckinsey.com/featured-insights/gender-equality/focusing-on-what-works-for-workplace-diversity

[105] https://www.nytimes.com/2023/01/17/opinion/dei-trainings-effective.html

[106] https://www.thefp.com/p/how-dei-is-supplanting-truth-as-the

[107] https://www-staging.washingtonpost.com/opinions/2024/05/19/universities-dei-academic-freedom/

[108] https://www.bostonglobe.com/2023/12/11/opinion/steven-pinker-how-to-save-universities-harvard-claudine-gay/

Notes

  1. Tout a été joliment dit sur la raison d’être de l’université par le grand historien allemand Ernst Kantorowicz, exilé aux Etats-Unis pour fuir les nazis, et qui dans un essai « The Fundamental Issue » écrit en réaction à la chasse aux sorcières durant le maccarthysme des années 1950 : « On peut imaginer une université sans un seul jardinier ou concierge, sans une seule secrétaire, et même – image envoûtante – sans un seul recteur. La constante et l’essence d’une université est toujours le corps des enseignants et des étudiants. »↩︎

  2. Dans sa tribune du 24 mai 2024 dans Le Temps, le président de l’EPFL rappelait que « la neutralité [est] nécessaire à un environnement scientifique serein. » Il rappela également que les universités « cherchent à éviter de former des Fachidioten » (des idiots érudits), mais de Montesquieu à Allan Bloom, bien des auteurs ont noté la propension de l’université à favoriser la bêtise érudite, « qui allie intellectualisme et ignorance » (G. K. Chesterton).↩︎

  3. Traduction du néologisme « safetyism » utilisé par Greg Lukianoff et Jonathan Haidt [1]. Les deux auteurs décrivent une tendance nouvelle sur les campus américains à vouloir assurer la « sécurité émotionnelle » (emotional safety) des étudiants. Cela passe par la censure de toute parole blessante, la lutte contre les micro-agressions, la diabolisation de toute attitude ou acte jugé discriminatoire (sexiste, raciste, transphobe, etc.), la mise en place de « trigger warnings » dans les cours lorsque le professeur aborde des notions jugées sensibles, la création de « safe space », et des offres de soutien pour toutes les minorités en souffrance. Lukianoff et Haidt décrivent également la littérature qui a été produite dans le même temps (une théorie de la victimisation héritée de Marcuse, qui fait la part belle aux privilèges, aux harcèlements et aux oppressions) et le développement de l’appareil bureaucratique pour satisfaire les besoins de l’étudiant-client et gérer les conflits sur les campus. Selon les auteurs, la bureaucratie universitaire se retrouve dans la position du pompier-pyromane en exacerbant les griefs entre individus et en réduisant la capacité des étudiants à faire face par eux-mêmes à des problèmes relationnels.↩︎

  4. Si on prend un critère global comme l’indice de Gini, les États-Unis ont un indice voisin de 40 alors que la Suisse est à 34 et les pays de l’Union Européenne sont à environ 30 (il s’agit des indices établis à partir des revenus après imposition). La plus grande inégalité aux Etats-Unis est toutefois contrebalancée par une plus grande richesse par habitant, surtout après la crise de 2008-09 que l’Europe n’a pas résorbée et qui a provoqué son décrochage par rapport aux États-Unis.↩︎

  5. Le genre est un concept tiré de l’anthropologie pour décrire la façon dont, dans les sociétés humaines, l’identité sexuelle se traduit dans les activités, et la façon dont les individus perçoivent ce qui est masculin ou féminin. À partir des années 1970, le genre a servi à désigner le ressenti de l’identité sexuelle de l’individu indépendamment de son sexe biologique. De nos jours, « genre » est devenu un substitut de « sexe », mais il renvoie également au discours militant sur la primauté du sexe ressenti vis-à-vis du sexe biologique en sorte qu’à la fin, son emploi est devenu ambigu.↩︎

  6. Dans l’Athènes du 5e siècle, tout citoyen pouvait être désigné au sort pour occuper un poste d’archonte (magistrat de la cité). Le tirage au sort (lotocratie) ne concernait toutefois pas le poste de stratège (général en chef), qui était élu par l’assemblée ; dans les faits, le stratège était systématiquement choisi parmi les grandes familles. Manifestement, la conduite des armées nécessitait des compétences spécifiques.↩︎

  7. C’est une considération fondée sur le salaire moyen indépendamment du taux d’occupation et du domaine d’activité. Naturellement si on affine l’étude en examinant des domaines professionnels particuliers, l’écart se réduit significativement, et quand au sein d’une même entreprise, on examine les choix individuels des travailleurs, l’écart tend vers moins de 5 % [10-11]. En dehors des choix personnels [12-13], c’est la maternité qui reste le plus fort frein dans la carrière professionnelle des femmes [14].↩︎

  8. On se demande bien pourquoi on ne pourrait pas dire l’inverse car en français classique, le masculin peut renvoyer à une assemblée composée seulement d’hommes ou bien une assemblée mixte constituée de femmes et d’hommes, alors que le féminin ne renvoie qu’à des femmes. On pourrait alors parler de privilège féminin.↩︎

  9. Dans le n° 139 (décembre 2023) de la revue Horizons du FNS, Urs Hafner décide d’employer le féminin générique, donc de prendre le contre-sens de la convention usuelle [126]. Mais détail insigne, alors qu’il croit briser un tabou, il continue d’employer le pronom impersonnel « on » (« man » en allemand). En français comme en allemand, ce pronom dérive de « homme ». S’il avait un peu de logique (et de culture), le journaliste rebelle aurait remplacé les « on » par des « fem ». Il aurait rendu son texte encore un peu plus incompréhensible.↩︎

  10. Un exemple de complexification est l’évolution de l’usage de « tous » comme dans « bonjour à tous » en français classique. Ici, « tous » renvoie à la totalité des personnes. La langue inclusive introduit deux totalités distinctes : les femmes et les hommes ; « tous » ne renvoie plus à la totalité des individus, mais uniquement à la totalité des hommes. Les DIE radicaux revendiquent la non-binarité et ajoutent donc « touls » (et autres variantes). On multiplie les abréviations comme « tou·s·tes » ou « tou·s·te·x ». On force donc les locuteurs à se définir par leur sexe/genre. Le caractère absurde de cette mode apparaît si on se met à dire « bonjour aux Alémaniques et aux Romands » à tout bout de champ, ou bien « bonjour aux blonds et aux bruns ».↩︎

  11. Cela ne serait pas vrai pour toutes les sociétés selon l’anthropologie anarchiste [52-53].↩︎

  12. Ce qui définit l’identité d’une personne (comment elle se perçoit et se définit, et comment elle est perçue par les autres) se fonde sur une multitude de facteurs dont l’importance dépend de chaque individu et de la culture dans lequel on vit. Par exemple, chez les nationalistes, l’appartenance à une même nation est l’élément-clé. Chez les croyants, la foi est sans doute l’élément le plus important de l’identité. Chez les Chinois, la relation à sa communauté prime également sur le ressenti personnel.↩︎

  13. Et oui je suis contre l’écriture inclusive, et je pratique l’accord de proximité à l’instar des grands auteurs qui m’ont nourri (et comme cela est indiqué dans les bonnes grammaires). Les arguments utilisés par les partisans de l’écriture inclusive reflète une inculture crasse.↩︎

  14. On pourrait étendre la comparaison aux inégalités sociétales en Suisse : un citoyen suisse normal devra effectuer 35 semaines de service militaire (et plus encore pour ceux qui optent pour le service civil) ; toutefois, 20 % des appelés y échapperont pour raison de santé auxquels s’ajoutent 5 % de binationaux et un nombre indéterminé de permis C. Outre le temps donné à la collectivité, il faut mentionner que les cours de répétition sont des obstacles à la carrière et à l’embauche. S’il choisit le mariage plutôt que l’union libre, un homme paiera 12 % d’impôts en sus. La rente AVC sera également amputée (50 % du plus petit salaire) pour les couples mariés. En Suisse, le choix du mariage entraîne des inégalités conséquentes, mais elles ne sont que peu dénoncées.↩︎

  15. Hossenfelder a fait partie des gens qui l’avaient vivement attaqué dans un premier temps. Hommage à elle d’avoir su faire marche arrière.↩︎

  16. Il faut citer qu’en revanche, la cabale menée pour l’éviction de Steven Pinker de la Linguistic Association of America en 2020 a échoué. Ses adversaires lui reprochaient « d’étouffer la voix des personnes victimes de violences racistes et sexistes, en particulier immédiatement après les actes de violence et/ou les manifestations contre les systèmes qui les ont créés »↩︎

  17. Précisions que Haidt, professeur de psychologie à l’université de New Work, a aussi été la plume du candidat démocrate John Kerry. C’est un démocrate.↩︎

  18. Steven Pinker, professeur de psycholinguistique à Harvard, est un « libéral », fervent partisan du parti démocrate.↩︎