Introduction

Pourquoi de la recherche sur les écoulements naturels ?

Pourquoi de la recherche sur les écoulements naturels ?

Quel est l’objet de nos recherches ?

Le LHE étudie la dynamique des écoulements à forte pente dans les massifs comme les Alpes. Dans notre laboratoire, cela concerne les avalanches, le transport de sédiment, et les laves torrentielles. On cherche à fournir des outils qui permettent de prédire le volume de matériau transporté, leur vitesse et force d’impact contre un obstacle, et l’extension de zones de dépôt. Il y a d’autres aspects tels que la formation de ces écoulements en partie haute des bassins-versants qu’on n’examine pas car c’est à la frontière entre différents domaines scientifiques (géomorphologie, géotechnique, et géologie) et cela ne peut être étudié que par des collaborations externes.

En quoi cela contribue à la prévention et la gestion de ces laves torrentielles ?

Pour comprendre la portée des recherches actuelles, il faut dresser une rapide perspective historique. Disons pour simplifier que les populations alpines ont toujours eu à gérer le risque lié aux sédiments, un risque plus fréquent et d’extension plus grande que les avalanches, donc un risque qui a largement façonné le paysage urbain des zones de montagne. Au XIXe, avec la fin du petit âge glaciaire, le risque torrentiel a très fortement augmenté (le retrait des glaciers libérant un grand volume de matériaux facilement mobilisables). Les inondations catastrophiques des grands fleuves européens ont conduit les gouvernements à légiférer. À cette époque-là, on croyait que c’était la surexploitation pastorale et la destruction des forêts qui étaient la cause des désordres. La réponse paraissait simple : il faut reboiser. Cela s’est révélé peu efficace. À la fin du XIXe et au début du XXe, on a massivement eu recours à la correction torrentielle, c.-à-d. des ouvrages de génie civil tels que des digues pour contenir les écoulements. En région de plaine, la correction du Rhône est un exemple de stratégie par endiguement. Après la seconde guerre mondiale, l’accroissement de l’occupation des zones d’altitude (stations de ski, barrages, etc.) a conduit à étudier la dynamique des écoulements. Dès les années 1970, on voit apparaître des modèles d’écoulement de crue torrentielle, et avec l’avènement de l’ordinateur, ces modèles peuvent devenir plus complexes et leurs équations résolues numériquement. Ces modèles s’inspiraient des crues d’eau liquide, or l’eau charriant du sédiment se comporte différemment. À faible concentration en sédiment, le transport sédiment se produit sous la forme de charriage, c’est-à-dire de matériau entraîné sur le fond du lit ; le principal problème est la détermination des zones érodées ou, au contraire, de dépôt. À très forte concentration en sédiment, le mélange est beaucoup plus visqueux, et l’écoulement (appelé lave torrentielle) ressemble à une avalanche de neige. Il peut s’arrêter en pleine pente quand la dissipation d’énergie est trop grande. Les premiers modèles de lave torrentielle ont donc cherché à transcrire ces observations sous forme de loi empirique. Il y a des éléments de complexité qui rendent ces formulations trop grossières pour prédire avec précision ce qui peut se passer. Par exemple, l’existence de sédiments de taille variée donne naissance à un phénomène appelé ségrégation granulaire. La ségrégation peut permettre l’auto-chenalisation de l’écoulement, qui parcourt une distance bien plus grande car il ne s’étale pas.

Actuellement, les chercheurs travaillent donc à développer des modèles capables de fournir une image plus réaliste des écoulements. Cela permet d’étudier le risque d’érosion, l’extension maximale des écoulements lors des crues, les hauteurs, les forces d’impact, etc., autant de paramètres importants dans l’élaboration des cartes de risque. La prévention passe ici donc par une adaptation des infrastructures à la menace.

En parallèle, un peu comme pour les avalanches, il y a le problème de la prévision au sens météorologique des crues torrentielles. En général, celles-ci se forment sous l’effet de fortes précipitations (orage d’été p. ex.), mais pas seulement. Des ruptures de lac glaciaire peuvent créer de fortes crues. Des laves torrentielles par grand beau peuvent se former, comme cela a été le cas en juin 2012 à Zinal. Un écroulement rocheux peut aussi former des laves torrentielles même si la pluie est modeste, comme cela a été le cas en mai 2016 au mont Granier au-dessus de Chambéry. Le problème de prévision temporelle est donc très difficile.

Quelles sont les difficultés de telles recherches ?

En matière de prédiction, c’est le niveau de précision souhaitée dans les calculs qui importe. Si on se contente d’une estimation à la louche, de petits modèles comme ceux actuellement disponibles dans les codes numériques commerciaux peuvent donner une première image. Ils restent toutefois très imprécis, surtout en ce qui concerne l’extension des zones de dépôt. Or c’est justement ce qui est un des points clés pour l’aménagement du territoire. Pour dépasser les limitations actuelles, il faut donc concevoir des modèles d’écoulement plus réalistes qui prennent en compte le comportement mécanique des mélanges eau/sédiment. La variabilité de comportement est tellement importante que cela reste difficile à étudier finement. Les crues torrentielles mobilisent des matériaux allant de l’argile au bloc de plusieurs mètres. En laboratoire il est impossible d’étudier une telle gamme granulométrique. Les expériences de laboratoire sont donc des vues très simplifiées de la réalité. Cela impose donc de faire un suivi de terrain comme le fait actuellement le WSL à l’Illgraben. Si c’est un torrent très actif (il produit des laves chaque année), il est aussi très particulier puisqu’il mobilise un sédiment gypseux très fin, c’est donc un cas particulier difficile à généraliser pour le reste des Alpes. Au LHE, c’est la Navisence à Zinal qui fait l’objet d’un suivi de terrain.

Est-ce que le nombre et l’intensité des crues torrentielles a tendance à augmenter ?

Historiquement, l’étude des dépôts et des arbres (dendochronologie) montre une forte variabilité de l’activité torrentielle au fil des siècles. L’activité torrentielle a été très forte dès le début du retrait glaciaire au milieu du XIXe. Actuellement, la modification du ruissellement (imperméabilisation des zones urbanisées), la fonte du pergélisol, et l’apport croissant de sédiment (écroulements et glissements) favorisent l’activité torrentielle. L’occurrence de pluies intenses favorise également une mise en pression de l’eau dans le sol, et une instabilité croissante des pentes de montagne. Le risque va donc croissant : plus d’enjeux menacés, et un danger naturel plus important en fréquence et intensité.